Financement du Projet de la Centrale de Sendou : La BAD Assigne en Justice la Compagnie d’Électricité du Sénégal ?

Une affaire judiciaire explosive met en lumière les dysfonctionnements du projet de la centrale électrique de Sendou, un dossier emblématique des défis énergétiques au Sénégal. La Banque Africaine de Développement (BAD) aurait assigné en justice la Société Nationale d’Électricité du Sénégal (SENELEC), dans un litige lié au financement de ce projet controversé. Ce scandale, qui implique des milliards de FCFA, révèle les tensions entre bailleurs de fonds internationaux, entreprises privées et l’État sénégalais, sur fond de dettes impayées et de gestion opaque.

 

Lancé en 2007, le projet de la centrale à charbon de Sendou visait à renforcer la capacité énergétique du Sénégal avec une puissance installée de 125 MW (initialement prévue à 250 MW). Située à Bargny, près de Dakar, cette infrastructure devait être construite sous un modèle BOO (Build, Own, Operate) par la Compagnie d’Électricité du Sénégal (CES), une société de droit sénégalais créée à cet effet. CES était détenue majoritairement par des investisseurs suédois, via Nykomb Synergetics Development Ab et Nordic Power Ab, avec des participations indirectes comme le Barak Fund.

Le projet a rapidement suscité des controverses, notamment environnementales. Les communautés locales, soutenues par des ONG comme Lumière Synergie pour le Développement (LSD), ont dénoncé les impacts sur la santé, l’environnement et les moyens de subsistance. En 2017, la BAD avait déjà menacé de retirer son financement pour non-conformité aux normes environnementales et sociales. Malgré cela, le projet a avancé, mais avec des retards chroniques, des coûts gonflés et une faillite technique : la centrale n’a jamais été pleinement opérationnelle et a été placée en redressement judiciaire en avril 2021 par le tribunal de commerce de Dakar.

En 2019, le gouvernement sénégalais a même envisagé de convertir la centrale au gaz naturel, marquant un abandon progressif du charbon au profit d’énergies plus propres. Aujourd’hui, le site reste un symbole d’échec, avec des équipements abandonnés et des dettes accumulées.

Le budget total du projet s’élevait à environ 206,4 millions d’euros (environ 135 milliards de FCFA à l’époque), financé par un mix de fonds propres et de prêts concessionnels. La BAD a joué un rôle central, en accordant un prêt substantiel aux côtés de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) et de la Nederlandse Financierings-Maatschappij voor Ontwikkelingslanden (FMO), l’agence néerlandaise de développement. Ces institutions ont conditionné leur soutien à des normes strictes en matière d’environnement, de gouvernance et de viabilité économique.

Cependant, des audits communautaires et internes ont révélé des irrégularités : non-respect des politiques de sauvegarde environnementale, déplacements forcés de populations sans compensation adéquate, et une gestion financière opaque. Un rapport de la BAD en 2017 soulignait déjà la “faillite” potentielle du projet. Les communautés affectées ont porté plainte contre la BAD, la FMO et la BOAD devant leurs mécanismes internes de recours, accusant ces bailleurs de négligence.

Selon Libération, la BAD aurait récemment assigné SENELEC en justice pour recouvrer des fonds avancés et non remboursés. Le litige porterait sur des garanties d’État non honorées, des paiements en suspens et une possible mauvaise gestion des fonds par SENELEC, qui était l’acheteur d’énergie (off-taker) dans le contrat. Bien que les détails exacts de l’assignation restent confidentiels, des sources judiciaires évoquent une dette “fantôme” de plus de 30 milliards de FCFA, contestée par les parties impliquées.

Ce n’est pas la première procédure judiciaire autour de Sendou. En janvier 2022, CES a traîné l’État sénégalais devant le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI), réclamant des indemnités pour résiliation abusive du contrat. Plus récemment, en août 2025, Nordic Power Ab a saisi le tribunal de commerce de Dakar contre des représentants de CES, accusant une créance fictive de 30,097 milliards de FCFA. Dans cette affaire, SENELEC est citée comme partie prenante, en raison de son rôle dans le contrat d’achat d’électricité. L’affaire a été appelée à la barre le 4 août 2025, avec des demandes d’expertise comptable pour clarifier les comptes.

Les motivations de la BAD seraient liées à la protection de ses intérêts financiers et à l’application stricte de ses politiques. En tant que bailleur, la banque pourrait invoquer des clauses de défaut de paiement, exacerbées par la faillite de CES et l’abandon du projet.

Ce scandale judiciaire met en péril la crédibilité du Sénégal auprès des investisseurs internationaux. Le pays, qui vise une mixité énergétique avec le gaz et les renouvelables (via des projets comme Sangomar ou GTA), risque des sanctions financières et une réticence des bailleurs à financer de futurs projets. SENELEC, déjà confrontée à des défis de production et de distribution, pourrait voir sa notation dégradée.

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