Les lettrés et les enseignants formés et formatés à l`École Normale William Ponty (Saint-Louis, 1903-1913; Gorée, 1913-1937 ; Sébikhotane, 1937-1965) ont constitué le gros du contingent de l’élite politique en Afrique occidentale Française (AOF, 1895-1958, 9 colonies, capitale Saint-Louis puis Dakar) à la veille des indépendances et surtout après. l’essentiel de cette élite a joué le même rôle en Afrique que celui joué par les tirailleurs sénégalais et par les tirailleurs algériens en Afrique et en Indochine.
Ces tirailleurs (lettrés ou armés) ont été comme un groupe de mercenaires au service de la France coloniale. La légion étrangère (1831-aujourd’hui) peut être vue en Afrique et dans d’autres régions du monde comme un groupement de tirailleurs sénégalais ou algériens d’après-guerre et en activité dans la continuité de l’entreprise coloniale de la France qui refuse de lever son genou sur le cou des africains.
Cet après-guerre a vu la naissance de la loi Lamine Gueye (no 46-940, 7 mai 1946) qui visait à faire des citoyens français les ressortissants des territoires de l’empire colonial français dont le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Togo, le Burkina-Faso (la Haute-Volta), le Bénin (le Dahomey), le Niger, la Guinée, la Mauritanie, le Mali (le Soudan français). Il s’en est suivie une course «senghorienne» à être comme des Français de France tout en s’enracinant pour s’ouvrir aux autres (les blancs).
Terre de refus et de commerce depuis d’illustres temps (empire du Mali, charte du mandé), le Mali de Modibo Keita (un ancien de William Ponty) a fait partie des territoires de l’empire colonial français. Il est aujourd’hui victime de ce qui est perçu comme un complot de la France et d’un « fan-club français d’amis » dans la CEDEAO des élites (pas celle des peuples et des jeunes).
Le Mali a connu 5 coups d’état depuis l’éclatement de la Fédération du Mali (29-30 décembre 1958 – 20 août 1960) dont certains dirigeants ont été toujours des valets de la France coloniale. Cette France n’a pas pu digérer le projet de société de Modibo Keita (mort le 16 mai 1977 à Bamako, paix à son âme), le Premier Président du Mali indépendant. Modibo Keita s’est alors tourné vers l`Union des Républiques Socialistes et Soviétiques (URSS) qui correspondait mieux et plus à son projet de société propre aux réalités du Mali et de l`Afrique.
Il est renversé le 19 novembre 1968 par Le Général Moussa Traoré (mort le 15 septembre 2020 à Bamako, paix à son âme) qui sera par la suite renversé par le 26 mars 1991 par le Colonel Amadou Toumani Touré (ATT, mort le 10 novembre 2020 à Istanbul en Turquie, pais à son âme). Pour s’être vu tordre le bras sur la gestion des conséquences de ce qui est vu en Afrique comme un complot de la France et des mêmes contre la Libye (2011), Amadou Toumani Touré (ATT) est renversé le 22 mars 2012 par le Capitaine Amado Aya Sanogo. ATT a dû choisir l’exil en 2012 au Sénégal du Président Macky Sall (un sous-préfet de la France). Ce sous-préfet nous a récemment manifesté son « amitié » pour le Mali et le peuple malien. Triste ! C’est lors du décès du Président Ibrahim Boubacar Keita (mort à Bamako le 16 janvier 2022).
Ibrahim Boubacar Keita (IBK, paix à son âme) a été renversé le 18 août 2020 par le jeune Colonel Assimi Goita (37 ans). Le Président Bah Ndaw, successeur d`IBK à la tête du Mali, subira le même sort le 25 mai 2021 (« après son retour de Paris ») par le même Colonel Assimi Goita qui est aujourd’hui à la tête du Comité national pour le salut du peuple (CNSP). Le CNSP travaille en coordination avec le Conseil national de transition (CNT) qui est en quelque sorte l’organe législatif actuel du peuple souverain du Mali.
Les larges consultations effectuées par le CNT et le CNSP ont abouti à un consensus d’une transition de 6 mois à 5 ans. Les Maliens ont été des millions à manifester à travers leur pays pour soutenir les propositions du CNSP et du CNT. Ces propositions sont semblables dans une certaine mesure à ce que le Lieutenant Jerry Rawlings a effectué au Ghana. Le Lieutenant Jerry Rawlings a procédé en quelque sorte de la même manière lorsqu’il est arrivé à tête de son pays à la suite de son deuxième coup d’état. Il a pris le temps de construire des institutions solides au Ghana et à l’image des réalités du Ghana, et non à l’image des colons.
Pour la France et « son fan-club français d’amis » dans la CEDEAO, une telle proposition de transition du CNSP et du CNT au Mali est inacceptable. Le Mali appartient-il au peuple malien ou à d’autres? C’est alors la naissance officielle de l’actuelle crise diplomatique entre la France et son «fan-club français d’amis » dans la CEDEAO d’une part, et le Mali et le peuple malien d’autre part.
Cependant, les véritables enjeux que cache cette crise diplomatique se trouvent dans la volonté de la France et des occidentaux de prendre le contrôle des ressources du sol des peuples habitants le Sahel. C’est une réalité très claire aux yeux des peuples d`Afrique conscients des véritables enjeux de l’heure. Le Mali, qui fait partie du Sahel, est l’un des pays qui a plus de ressources sur son sol, plus de superficie et plus de frontières avec les autres pays (7 frontières, une chance). L`Algérie libre et indépendante en fait également partie. Cette dernière est aujourd’hui presque « encerclée » par des conflits à part sa frontière avec le Mali. La position actuelle de l`Algérie (qui a sa propre monnaie non coloniale) sur la crise malienne se comprend à travers la configuration dans laquelle elle se trouve aujourd’hui, mais également par sa lutte armée de libération menée contre la colonisation française.
En cas d’échec de la révolution malienne dirigée par le Colonel Assimi Goita, l`Algérie fera partie des prochaines cibles au même titre que la Guinée du Colonel Mamadi Doumbya (elle a sa propre monnaie non coloniale) qui a d’ailleurs très clairement décider de refuser de fermer ses frontières avec le Mali. C’est donc dans la lutte de décolonisation des frontières aériennes, terrestres, monétaires et maritimes du Mali et de l’ancienne AOF qu’il faudrait situer la crise malienne au même titre que les véritables enjeux (contrôle extérieur des ressources du Mali et du Sahel par les colons).
Ps : L’or et les ressources minières exploitées à Kédougou ne profitent pas aux populations. Mon analyse est que c’est un risque de soulèvement des populations de cette zone contre les injustices subies (comme en mars 2021 un peu partout Sénégal) qui est à l’origine d’une certaine surenchère médiatique sur des «risques terroristes» dans la région de Kédougou. Mais, de quel ciel sont tombés ces «risques terroristes» à Kédougou? Ne s’agirait-il pas de futurs « manifestants terroristes » comme en mars 2021?
Libasse Coly, Montréal, Québec, Canada.
