La famille Sèye n’en finit toujours pas de subir les dommages collatéraux du sermon fait par son fils sur l’affaire Charlie Hebdo. Pour rappel, le journal Charlie hebdo, c’est ce maudit satirique français qui a fait sa réputation sur l’outrage permanent des assassins comme des saints. Et réussi à faire son beurre avec le blasphème. En 2015, le 7 janvier précisément, les frères Chérif et Saïd Kouachi, révoltés par les caricatures qui mettaient le prophète Mouhamed (SWS) dans de mauvaises postures, avaient décidé de le “venger” en tuant 12 personnes et blessant 11 autres, tous des journalistes et techniciens de l’hebdomadaire en plus du policier en circulation.
Si le choc de ces tueries médiatisées avait révolté le monde occidental, poussant de nombreux chefs d’Etat alliés, dont Macky Sall, à venir marcher aux côtés de François Hollande, de nombreux musulmans avaient refusé de joindre leurs voix à celles des protestataires. Parmi eux, Ibrahima Sèye, 38 ans, professeur d’Histoire-Géographie au lycée Moussa Mollo Baldé de Kolda, dans le sud est du Sénégal. Très à cheval avec les principes islamiques, Ibrahima Sèye est aussi un imam qui a son auditoire qui, tous les soirs, venait, s’abreuver à la source de son savoir. Un jour, alors qu’il faisait un prêche dans la mosquée, l’imam s’était offusqué du fait que le président Macky Sall -qui dirige un pays à plus de 95% de croyants- puisse aller supporter des blasphémateurs, des insulteurs du prohète des musulmans. Alors qu’il faisait son prêche, un de ses amis l’a enregistré.
“Et, plusieurs mois après ce prêche, cet ami a pris l’enregistrement audio et l’a amené au préfet de Kolda qui l’a transmis au parquet. C’est pour cela que mon fils a été arrêté.” A fait savoir Abdoul Aziz Sèye, le père de Ibrahima Sèye. Emprisonné en janvier 2015 pour “apologie du terrorisme”, l’imam a été jugé 7 mois plus tard par le tribunal correctionnel de Kolda. Et, le 1er juin 2016, dans le verdict qu’il avait rendu, le juge Abdourahmane Ndiaye, président du tribunal, a condamné l’imam le prévenu à un an de prison; là où le procureur de la République avait requis 5 ans. Non satisfait de ce «verdict trop clément», le président Macky Sall, qui répondait à une interview de la presse étrangère, avait fait savoir que «la sanction (lui) a paru légère.»
Et promis d’instruire son ministre de la justice, Me Sidiki Kaba, d’interjeter un appel. Comme promis par Macky Sall aux journalistes étrangers, un appel a été fait et la cour d’Appel de Dakar, qui a hérité du dossier Ibrahima Sèye, lui a infligé une année de plus. Au total, il a passé deux années en détention dont une bonne partie dans les quartier QHS où étaient logés l’imam Alioune Badara Ndaw (RAW) et compagnie. Libéré de prison vers la fin 2017, l’ancien professeur d’Histoire géographie tentera par tous les moyens de remonter la pente. Mais, alors qu’ils lui avaient laissé son salaire et qu’il s’organisait à terminer la construction de sa maison, l’Etat lui a tout coupé.
Du jour au lendemain, sans sommation. Cela a considérablement joué sur son psyché. Mari polygame, l’imam Ibrahima Sèye est aussi un père aimant qui veillait scrupuleusement à l’éducation de ses 12 enfants nés de deux mères différentes. Et, la nouvelle situation de précarité dans laquelle l’Etat du Sénégal l’avait plongé avait fini par lui faire perdre la tête. “Pourtant, il avait tout essayé pour s’en sortir. Il avait mis toutes ces économies dans l’achat de livres islamiques qu’il vendait à Ouakam. Ensuite, quand ce commerce a périclité, il s’est lancé dans la vente de café Touba sur les plages de Dakar.” A déclaré, l’une de ses épouses qui s’est confiée à Kéwoulo. Et finalement, “un jour, il m’a dit qu’il va tuer mon fils. Notre ainé qui est pourtant son ami. Depuis ce jour, nous avons compris que notre mari n’avait plus sa tête.” La première épouse est rentrée chez ses parents à Keur Massar, l’autre est retournée à Saint Louis.
Mais, toutes les deux, désormais avec 6 enfants à charge, ont compris que plus rien ne sera comme avant. “Tantôt, il disparait pendant longtemps, une fois il est allé trouver l’une de ses épouses et essaie de reprendre sa place de père auprès de ses enfants. Mais, il est devenu si violent aujourd’hui et que tout le monde croit que dangereux de le laisser s’approcher de ses femmes et enfants. Donc, on a peur que l’irréparable se produise un jour. La dernière fois, il est allé dans la famille de l’une de ses épouses et a failli y faire des histoires. Les parents comme les voisins nous ont appelés. Des frères ont loué une ambulance de la SAMU qui l’a acheminé directement l’hôpital psychiatrique de Fann. Désormais, c’est dans ce centre hospitalier, où l’on soigne des maladies mentales, que le père, Abdou Aziz Sèye, et fils sont réunis dans leur malheur.
