Texte Collectif: Restaurer la démocratie et l’état de droit en Guinée-Bissau

La Guinée-Bissau se retrouve à nouveau confrontée à ses vieux démons alors qu’elle était sur le point de franchir un pas qualitatif dans sa marche vers la restauration de la démocratie afin qu’elle puisse s’attaquer aux autres défis qui l’assaillent depuis son indépendance, en 1973, du régime colonial portugais.

 

L’interruption par un groupe de hauts gradés de ses élections présidentielle et législatives du 23 novembre l’a remise dans l’œil du cyclone.

L’armée, ou du moins une partie des forces armées remodelées sous la présidence d’Umaro Sissoco Embalo, est sortie de ses casernes pour annoncer un coup d’État dont le déroulement a laissé sans voix même les observateurs les plus avertis des nombreuses secousses sécuritaires et politiques qui ont marqué l’histoire post-coloniale de ce pays.

En plus d’une théâtrale arrestation du président sortant, Sissoco Embalo, conservant manifestement ses moyens de communication, qui s’est empressé, dans un enthousiasme suspect, à le faire savoir au monde, l’armée s’est aussi rendue au siège de la Commission nationale électorale (CNE) où se déroulaient les dernières étapes de la compilation des votes nationaux avant l’annonce des résultats attendue le lendemain. Sur place, des militaires dans un grabuge indescriptible, ont emporté machines et documents relatifs aux résultats électoraux, sans oublier de procéder à des arrestations de personnes essentiellement proches du camp de l’opposition au président sortant, candidat à un second mandat.

Comme l’ensemble des Africains soucieux de la remise de la démocratie pluraliste et, plus largement, celle des principes de l’État de droit au centre du jeu politique, nous avons été choqués par cette irruption brutale de l’armée visant sans aucun doute possible à interrompre un processus électoral auquel les citoyens électeurs de Guinée-Bissau, pays d’Amilcar Cabral, ont cru jusqu’au bout. Il s’agit du basculement d’un nouveau pays d’Afrique de l’Ouest dans un régime militaire après les coups d’État survenus au cours des cinq dernières années dans 4 autres de ses pays.

Nous estimons cependant qu’il n’est pas trop tard pour sauver l’espérance démocratique et l’état de droit en Guinée-Bissau.

Nous saluons l’organisation par la conférence des Chefs d’État et de gouvernement de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) d’une réunion en visio-conférence au lendemain des événements de Bissau et la condamnation du coup de force entrepris par des hauts gradés réputés tous très proches du président sortant.

Nous nous réjouissons de la décision prise de dépêcher une mission dirigée par le Président en exercice de la Cedeao, le Sierra-Léonais Julius Maada Bio.

Ce qui nous fait réagir, c’est également le fait que, sous la menace des services de sécurité et de l’armée, la Commission nationale électorale (Cne) a été contrainte de se déclarer incapable, le 2 décembre, de poursuivre la compilation des résultats et de les annoncer.

Elle a affirmé que les militaires avaient détruit et/ou emporté les documents et les données permettant de livrer les résultats électoraux enregistrés dans les 9 régions du pays, dans une vaine tentative de brûler les archives de l’acte électoral.

En tant que membres actifs de la société civile ouest-africaine voire continentale, nous ne pouvons nous taire face aux multiples forfaitures dont la Guinée-Bissau vient de faire l’objet, et qui oblitèrent une nouvelle fois l’avenir de ses populations, comme partout ailleurs en Afrique de l’Ouest, majoritairement jeunes et très jeunes. L’âge médian y est de 19 ans.

C’est en notre nom, en tenant compte d’une opinion largement partagée en Afrique de l’Ouest et sur l’ensemble du continent, que nous prenons la liberté d’inviter les Chefs d’État de la CEDEAO, qui se réunissent en Sommet le 14 décembre prochain, au sursaut pour résoudre la crise actuelle dans un des plus fragiles des 12 membres de la Communauté.

Les autres parties prenantes continentale et internationales, en particulier l’Union africaine (UA), l’Organisation des Nations Unies (Onu) et la Communauté des pays de langue Portugaise (CPLP), doivent également jouer un rôle dans ce moment crucial pour la Guinée Bissau mais aussi pour les perspectives de stabilité politique et institutionnelle dans une Afrique de l’Ouest déjà profondément affectée par des crises sécuritaires, économiques et politiques graves.

Nous invitons aussi l’opinion publique africaine et du reste du monde à montrer par tous les moyens légaux leur rejet des manoeuvres anti-démocratiques en cours en Guinée-Bissau tout en félicitant la maturité de son peuple.

Ne pas agir reviendrait à s’écarter de la jurisprudence prometteuse de l’an 2017 lorsque la mobilisation d’acteurs étatiques et de la société civile ouest-africaine permit de faire prévaloir le choix démocratique de citoyens en Gambie, pays voisin de la Guinée-Bissau où le président d’alors, Yaya Jammeh, avait tenté de s’accrocher au pouvoir malgré sa défaite dans les urnes.

Nous pensons que la Guinée-Bissau mérite d’être soutenue pour parachever son processus électoral et se remettre sur le chemin laborieux mais nécessaire de la construction d’institutions démocratiques et d’un Etat de droit.

L’argument de l’impossibilité de finaliser le processus électoral et d’annoncer les résultats, du fait de l’intrusion brutale des militaires et de l’intimidation des membres de la commission électorale et d’acteurs politiques majeurs, n’est pas acceptable. Des sources nombreuses, dont des observateurs de la CEDEAO, soulignent que les copies, voire les versions originales, des décomptes sont préservées et n’attendent qu’une pression internationale coordonnée pour être publiées.

Nous appellons à la publication des résultats par la commission électorale et la reconnaissance du vainqueur légitime par la communauté internationale.

Nous prions la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO de se montrer à la hauteur du défi posé par cette crise en Guinée Bissau et à celle des enjeux considérables que son dénouement représentera pour toute la région.

Elle doit exiger la vérité des urnes, protéger le vainqueur du scrutin et demander la libération des personnalités politiques détenues par les putschistes.

Accepter qu’un groupe d’acteurs politiques et militaires s’associe pour refuser à leurs compatriotes dans leur diversité le droit de choisir librement leurs dirigeants à travers des élections achèverait de donner le signal à toute l’Afrique de l’Ouest que la seule loi qui prime désormais est celle du plus fort.

Tout le monde sait que c’est aussi la loi de la jungle et la recette pour le désordre et le chaos.

Les dirigeants des pays membres de la Cedeao, de concert avec l’Union africaine, la CPLP et les Nations unies, doivent agir avec clarté, courage et détermination. Ce qui est en jeu dépasse la démocratie électorale parce qu’il s’agit de bâtir l’état de droit de la Guinée-Bissau à l’ensemble du continent africain.

Ont signé:
Pedro Pires, ancien President de la République du Cap-Vert
Doctor Olukeshi Adebayo, ancien Secrétaire Exécutif Codesria
Halima Ahmed, ancienne Commissaire aux Affaires politiques, à la paix et à la sécurité de la Cedeao
Dr. Kojo Asante, Directeur de la politique d’engagement, Centre pour le Développement démocratique (CDD-Ghana)
José Brito, ancien Ministre des Affaires Étrangères du Cap-Vert
Docteur Ambassadeur Bundu, ancien Secrétaire Exécutif de la CEDEAO
Maitre Femi Falani, ancien Secrétaire Général de l’Ordre des Barreaux d’Afrique de l’Ouest
Ambassadeur Luis Fonseca, ancien Secrétaire Général de la CPLP
Adama Gaye, journaliste, ancien directeur de la Communication de la CEDEAO
Lamine Guirassy, Administrateur de sociétés médiatiques, Guinea-Conakry
Professeur Jibrin Ibrahim, Centre pour la Démocratie et le Développement, Nigeria
Takyiwaa Manuh, Professeure émérite, université du Ghana
Mahmoud Mamdani, Professeur d’université, New-York, USA
El Hadji Ibrahima Mboup, professeur de lettres modernes
Fatou Jagne Senghore, Juriste, Droits Humains, Fondatrice du Centre pour le leadership et les droits des femmes
Jean-Pierre Tchanou, Docteur en économie, Chargé de cours, Cameroun
Docteur Alioune Tine, Président AfrikaJom Center
Gilles Yabi, Fondateur Wathi, boîte à idées Ouest-africaine.

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