Industries Extractives (ITIE) au Sénégal, publié en 2024 et couvrant l’année 2022, vient de jeter un pavé dans la mare. Selon les conclusions de cette instance internationale indépendante, pas moins de 42 milliards de FCFA d’écarts et d’irrégularités ont été constatés dans la déclaration et la collecte des revenus issus des secteurs minier, pétrolier, gazier et cimentier. Un chiffre qui donne le vertige et qui place une nouvelle fois la gouvernance des ressources naturelles sous les projecteurs les plus crus.
Le poste le plus problématique identifié par le rapport est sans conteste celui du Port autonome de Dakar. À lui seul, il concentre 38 milliards FCFA de divergences, soit près de 90 % du montant total des anomalies relevées. Ces écarts proviennent principalement :
- de déclarations incomplètes ou erronées des entreprises,
- d’erreurs d’imputation entre administrations (Douanes, Trésor, DGI, DGID, etc.),
- de problèmes de synchronisation des systèmes informatiques,
- et parfois de simples oublis ou de sous-évaluations manifestes.
Ces 38 milliards représentent l’équivalent de plus de 58 millions d’euros bloqués ou mal tracés dans une seule infrastructure portuaire, alors même que le Sénégal s’apprête à devenir un producteur majeur de pétrole et de gaz avec les projets Sangomar (2024) et GTA (2023-2024).
Les 4 milliards restants sont répartis entre plusieurs secteurs et administrations :
- Secteur minier (or, phosphate, zircon) : sous-déclaration de redevances et de taxes superficiaires,
- Industrie cimentière : écarts sur les droits de douane et la TVA à l’importation,
- Premiers flux pétroliers et gaziers de 2022 : difficultés d’enregistrement des premières cargaisons.
Pour remettre les choses en perspective :
- C’est plus que le budget annuel de plusieurs ministères régaliens combinés.
- C’est l’équivalent de la construction de plusieurs dizaines d’hôpitaux de niveau 4 ou de centaines de lycées modernes.
- C’est surtout de l’argent qui aurait dû revenir directement à l’État et, in fine, aux Sénégalaises et Sénégalais.
Dès la publication du rapport, les organisations de la société civile membres du Comité national ITIE Sénégal (Pasteef, OSCEP, Forum Civil, 3D, etc.) ont exigé :
- L’ouverture immédiate d’enquêtes indépendantes, notamment à la Direction générale des Douanes et au Port de Dakar.
- La publication des noms des entreprises concernées (le rapport ITIE les anonymise encore pour la plupart).
- Des sanctions administratives et pénales contre les agents et opérateurs fautifs.
- La mise en place urgente d’un système intégré unique de suivi des recettes extractives (single window) pour éviter que ces écarts ne se reproduisent.
Du côté du gouvernement, le ministère des Finances et du Budget a reconnu « des dysfonctionnements techniques » tout en minimisant la portée des anomalies, affirmant que « la majorité des écarts ont été régularisés a posteriori ». Une réponse jugée largement insuffisante par les défenseurs de la transparence.
Alors que le Sénégal entre de plain-pied dans l’ère pétro-gazière, ce rapport ITIE 2022 agit comme un signal d’alarme retentissant. Si dès les premiers flux (2022 était encore une année de transition), 42 milliards peuvent « s’évaporer » ou être mal comptabilisés, qu’adviendra-t-il lorsque les centaines de milliards annuels attendus de Sangomar et du GTA commenceront réellement à couler ?
Le peuple sénégalais, qui a placé tant d’espoirs dans ces ressources pour financer son émergence, a le droit légitime d’exiger des comptes. Clair, nets et précis.
Le scandale des 42 milliards n’est peut-être que la partie visible de l’iceberg. Reste à savoir si les autorités auront le courage politique de plonger pour voir ce qui se cache vraiment dessous.









































