Massacre de Thiaroye : 81 ans après, le devoir de mémoire demeure

Il y a exactement 81 ans, dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 1944, des tirailleurs sénégalais fraîchement rapatriés d’Europe après avoir combattu pour la libération de la France, tombaient sous les balles de l’armée coloniale française au camp militaire de Thiaroye, à la périphérie de Dakar. Un drame d’État, longtemps enfoui sous le voile du silence officiel, demeure aujourd’hui l’un des épisodes les plus douloureux de l’histoire du Sénégal et de l’Afrique combattante.

Ces hommes, venus de tout l’empire colonial d’Afrique de l’Ouest, avaient survécu aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, aux camps de prisonniers nazis, au froid de l’Europe et aux champs de bataille. Leur seul tort, à leur retour au pays, fut de réclamer légitimement leurs soldes, primes et droits dus. Une exigence simple, fondée sur la justice et la reconnaissance.

La réponse fut la violence. Au petit matin du 1er décembre 1944, l’armée ouvrit le feu sur des soldats désarmés. Le nombre exact de victimes reste, à ce jour encore, l’objet de controverses. Les chiffres officiels de l’époque évoquaient 35 morts, tandis que de nombreux historiens parlent de plusieurs dizaines, voire de plus d’une centaine de victimes. Cette incertitude statistique est en elle-même une plaie mémorielle : elle traduit l’effacement prémédité d’une tragédie humaine.

Pendant des décennies, Thiaroye fut un non-dit dans l’histoire officielle. Les victimes furent injustement assimilées à des mutins, quand elles incarnaient, en réalité, des soldats réclamant leur dignité. Il a fallu l’engagement des historiens, des cinéastes, des intellectuels africains – à l’image d’Ousmane Sembène – et des familles de victimes pour que la vérité commence à émerger dans l’espace public.

Aujourd’hui, au Sénégal, Thiaroye est devenu un symbole. Celui de l’injustice coloniale, de la négation des droits des soldats africains, mais aussi de la résistance par la mémoire. Chaque année, la Nation se recueille pour honorer ces hommes sans sépulture digne, tombés pour une patrie qui n’était pas encore la leur.

Des avancées ont été enregistrées ces dernières années dans le sens de la reconnaissance historique par la France, notamment par l’ouverture partielle des archives et par des déclarations politiques reconnaissant la responsabilité de l’État français. Mais pour de nombreux Sénégalais, cette reconnaissance reste incomplète tant qu’elle n’est pas assortie d’un acte fort de réparation morale et symbolique.

Se souvenir de Thiaroye, ce n’est pas raviver des rancœurs. C’est rappeler que l’histoire ne s’écrit pas seulement avec les victoires militaires, mais aussi avec les injustices commises au nom de ces victoires. C’est enseigner aux jeunes générations que la liberté, la dignité et l’égalité furent aussi arrachées par des Africains sur des terres étrangères.

En ce 1er décembre 2025, le Sénégal ne commémore pas seulement un massacre. Il honore une vérité longtemps niée. Il salue la mémoire de soldats qui, après avoir défié l’ennemi, ont affronté l’injustice. Et il réaffirme, à travers le devoir de mémoire, que la dignité humaine ne se négocie pas, même au nom des pages les plus sombres de l’histoire.

Thiaroye n’est pas seulement un lieu. C’est une conscience.

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