Pour pallier les répercussions de la guerre Russie-Ukraine sur le blé, l’Etat du Sénégal a commencé à activer ses leviers. Le ministère du Commerce s’est réuni avec les meuniers et les importateurs pour anticiper les choses. Trois schémas sont à l’étude.
C’est une situation d’extrême urgence. Une période pleine d’incertitudes que traverse le monde avec la guerre Russie-Ukraine. Un conflit qui provoque une explosion des cours mondiaux des céréales. Les conséquences pourraient être importantes au Sénégal qui importe plus de la moitié de son blé de Russie. La Russie et l’Ukraine représentent plus de la moitié des importations du blé, soit 57% (Russie : 51,4%, Ukraine : 6%). Une situation qui laisse présager une hausse du prix du blé et même un risque de pénurie. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Le chef de l’Etat, Macky Sall, conscient des répercussions sur le Sénégal, a pris les devants. Le ministère du Commerce tient les grands rôles. Aminata Assome Diatta a dirigé, jeudi dernier, une rencontre avec les meuniers et les importateurs.
«Sécuriser l’approvisionnement sur au moins un semestre»
Convoquée à 10 heures, la rencontre s’est terminée à 14 heures. Président de l’Association des meuniers du Sénégal (Amis), Claude Demba Diop était à la réunion qui avait pour objectif de trouver des solutions qui arrangent toutes les parties. Le souhait de l’Etat du Sénégal est d’assurer l’approvisionnement sur au moins un semestre. Claude Demba Diop s’en explique : «Après évaluation, on s’est rendu compte que dans un contexte plus particulier, il fallait prendre des mesures assez urgentes pour sécuriser l’approvisionnement sur au moins un semestre. L’Etat avait trouvé comme recette de consulter tous les importateurs pour voir quelle est la meilleure formule pour sécuriser un peu l’approvisionnement du pays, mais compte tenu du fait que la plupart de ces denrées sont encadrées par l’Etat, cela cause un gros problème aux importateurs. Quand vous voyez le marché s’enflammer, le prix administré au niveau local, vous êtes préoccupé par les pertes. Vous allez vous dire si j’achète à 100 FCFA alors qu’on ne m’autorise à vendre qu’à 50 FCFA, je n’y ai aucun intérêt. Nous les avons interpellés sur comment nous aider à nous approvisionner tout en nous assurant que nous allons plus ou moins continuer notre vie sans pour autant que les denrées de première nécessité ne reviennent plus chères.»
Au terme des discussions, les parties ont retenu trois schémas. Claude Demba Diop : «La première solution, c’est la mise en place d’une centrale d’achat comme cela se fait au niveau des pays maghrébins ou au niveau de la Turquie, c’est-à-dire que c’est l’Etat qui achète et qui cède aux importateurs en leur assurant qu’il va tenir compte du prix de l’encadrement.
La deuxième solution, c’est une prime de compensation, c’est-à-dire vous laissez à l’importateur le soin d’acheter et vous allez simplement prendre la différence pour exécuter une augmentation du prix. La troisième proposition était de faire de telle sorte que l’importateur puisse, dès à présent, acheter au bon prix, mais en augmentant le prix des denrées, c’est-à-dire, il y a ce qu’on appelle un prix de remplacement parce que si vous vendez aujourd’hui à 100 FCFA et que vous savez que vous allez acheter plus tard à 150 FCFA, vous n’allez plus avoir les ressources financières pour pouvoir acheter sur le marché, les recettes ne suffiront pas pour pouvoir acheter de nouvelles provisions. Il y a un système de prix de remplacement et ça intervient au niveau de l’augmentation même du prix du pain et de la farine.» Une troisième proposition que l’Etat n’approuve pas puisque que le secteur est déjà soumis à l’inflation avec la hausse du prix de la baguette qui est passé de 150 à 175 FCFA.
«L’Etat ne veut pas de cette solution. Il refuse totalement le prix de remplacement. Il ne le souhaite pas», insiste Claude Demba Diop. La décision de l’Etat attendu au Conseil des ministres de demain, mercredi. Jusque-là, aucune décision n’a été prise. Aucune proposition n’a été retenue. «On est dans l’attente des résultats des concertations avec le ministre du Commerce et nous attendons le prochain Conseil des ministres (demain, mercredi) pour savoir le schéma qui sera retenu», informe M. Diop. Mais déjà les meuniers ont fait leur choix. «La solution qui paraissait être la plus raisonnable, c’est soit la centrale d’achat, soit la prime de compensation. Si l’Etat est un bon payeur, la prime de compensation est l’idéale parce que ça permet à l’importateur d’acheter le meilleur des blés. Il y a beaucoup plus de flexibilité chez le meunier, dans le sens où il a l’habitude de travailler sur le marché international, il sait la qualité de loin. Dès qu’il déclare la valeur du blé qu’il a acheté, l’Etat va prendre en charge la différence et ça permet au consommateur sénégalais de ne même pas sentir l’inflation qu’il y a aujourd’hui au niveau du cours mondial.
La deuxième solution, c’est la centrale d’achat, ça c’est l’Etat qui achète pour les autres. Quand quelqu’un achète pour vous, c’est un peu plus délicat. Vous pouvez avoir des problèmes de qualité, il y a plein d’éléments qui peuvent entrer en compte. Ça peut poser problème. Les deux schémas se valent quelque part, mais je présume que le ministre (Aminata Assome Diatta) préfère s’assurer que ce qu’elle va utiliser, ce sera le meilleur des blés et ça coûtera ce que ça va coûter», explique en détails Claude Demba Diop.
N’y a-t-il pas de risques de disparition pour certaines entreprises du secteur avec toutes les difficultés qui s’annoncent ? Claude Demba Diop renvoie encore la balle à l’Etat. «Si c’est bien managé, si l’Etat tient compte du contexte international et soutient la filière, il n’y a pas de risque parce que les risques de pertes sont complètement supprimés. Par contre, si l’Etat dit que vous ne pouvez pas vendre le sac à plus de 19 200 FCFA, sachant qu’on achète un blé qui coûte plus cher que le prix d’encadrement, c’est clair que ça va vers la perte de plusieurs structures et c’est ce qu’on redoute. Je pense que l’Etat doit mettre tous les moyens pour éviter cette situation-là. Nous aurons les résultats mercredi prochain», dit-il.
