Dans notre Chapitre (Avril-Juin) consacré aux Migrations (20 reportages, mini-dossiers, interviews sur la question des Migrations au Sénégal), en collaboration avec l’organisation Article 19, nous sommes allés à la rencontre d’une Mauritanienne qui vit au Sénégal depuis 1989.
Elle s’appelle Guedado Ly, une refugiée qui est arrivée à Dakar après l’éclatement du conflit intercommunautaire à Diawara, zone frontalière entre le Sénégal et la Mauritanie. Son histoire est bouleversante.
Dans un large entretien accordé à nos confrères de PressAfrik, la quadragénaire retrace son “exil forcé” à Dakar, son expulsion manu militari de sa terre natale, parce qu’elle est “noire d’origine peulh” avec un nom sénégalais, son mariage raté avec un autre refugié à Dakar qui a fini par l’abandonner avec une grossesse, la mort de son papa par fatigue… Sans compter les violences sexuelles et agressions dont elle a été victime à multiples reprises.
Mais au milieu de toutes ces horreurs, Madame Ly a fini par trouver à Dakar “la paix et la stabilité” qu’elle recherchait en fuyant son pays d’origine. Aujourd’hui, elle n’envisage pas un retour en Mauritanie. Ce qu’elle souhaite plus que tout, c’est d’un point de vue administratif, être naturalisée sénégalaise. Entretien !
Bonjour Madame Ly pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Quand êtes-vous venu au Sénégal et quelles sont les raisons qui vous ont poussé à quitter votre pays d’origine ?
J’ai été forcée de venir à Dakar à cause d’un accrochage qui date de 1989 entre des (paysans peulhs) Peuls et (éleveurs) Mauritaniens à Diawara. Je me rappelle ce jour-là, J’étais partie le matin à l’école. Vers 12 heures c’est ma grand-mère maternelle qui est venue nous chercher ma sœur et moi. Sur le chemin de la maison, la scène était horrible. Des couteaux, jets de pierres et tirs au pistolet dans l’air. Sans compter une fumée indescriptible qui couvait l’air. Pour passer, on se cachait de temps en temps sous les arbres pour éviter d’être touché par une balle perdue. Il était quasiment difficile pour nous de rallier notre domicile à la Cité douane. Comme j’étais une collégienne je ne savais pas ce qui se passait. Tout au long du chemin, les gens ne cessaient de dire qu’il y a une bagarre entre maures et peulhs. C’était le sauve qui peut. Et la bagarre prenait de l’ampleur. Là où on habitait, on avait fait passer tous les Sénégalais du quartier pour leur sauver la vie. Par la suite on est restés pendant tout le mois du Ramadan à la Cité douane où nous logions.
Autre problème de ce conflit. Des militaires ciblés des fonctionnaires pour retirer l’argent de leur compte bancaire. Mon père avait un jour exposé son inquiétude à ma mère. Le fait qu’il rencontrait des soucis pour accéder à son compte bancaire. Il ne pouvait pas retirer au-delà de 100 .000 Fcfa. La fête de Tabaski arrive et mon père décide de nous envoyer chez notre grand-mère paternelle pour notre sécurité. Je vous souligne que mon père est un Mauritanien de souche. Quand on est arrivé là-bas on a trouvé la même situation. Une bagarre a éclaté entre mon cousin et un maure. Et ça a conduit à un drame. C’est la femme du père de mon cousin qui est tuée par les maures. La révolution a alors sonné. Le frère de la défunte, quand il a appris que sa sœur a été tuée, pour se venger, a tranché les bras d’un maure. Et ce dernier a succombé à ses blessures. Chacun de son côté voulait se rendre justice. La cohabitation entre les deux ethnies était quasi impossible. On se regardait en chiens de faïence.. Et ça a fini par un bain de sang.
Une expulsion manu militari de toutes les personnes qui portent le nom LY vers le Sénégal
C’est par là suite que la police est intervenue pour mettre de l’ordre. Mais ça n’a pas servi à grand chose. L’autorité préfectorale est entrée en action. Ils nous ont réuni dans l’une des grandes cours du village pour discuter de notre vivre en commun. Et comme cela n’était plus possible, l’autorité préfectorale a décidé d’envoyer au Sénégal toutes les personnes qui portent le nom Ly. Même aujourd’hui (33 ans après) quand j’en parle, j’ai le cœur meurtri. Parce que je suis peulh et Mauritanienne. Et ce village qu’est Niakwa, situé à quelques km de la ville Tékna d’où l’on nous a expulsé a été bâti par mon grand-père, Samba Ly. Tout le village le connaissait.
Ma mère s’est approchée du préfet pour lui expliquer qu’on n’est pas Sénégalais, mais plutôt des Mauritaniens. Notre présence dans ce village l’est sous les ordres de mon père qui voulait qu’on passe la fête ici. Ma mère demanda au préfet de ne pas nous envoyer au Sénégal et nous laisser partir à Rosso Mauritanie. Une requête accordée.
mon père accusé de fournir des renseignements aux Français pour justifier notre expulsion
Comment s’est passée votre intégration à Dakar ?
Une vie de misère
Est-ce que c’était facile pour vous de quitter votre pays d’origine, la Mauritanie ?
Mon arrivée à Dakar m’a fait un terrible choc. Je n’avais pas de famille ici. Je me souviens qu’on a quitté la Mauritanie sans aucun bien. Notre seul avoir: c’était les habits que nous portions. Je me rappelle qu’une de nos voisines m’avait offerte à l’époque 4 mètres tissu en Wax. Et j’alternais les deux habits pour me rendre à l’école. Dans la maison où j’étais accueillie pour mes études, j’étais la première à se lever et la dernière à se coucher. J’étais submergée de travail. Avec ce traitement inhumain, dites-moi qui peut continuer ses études ?
Avez-vous été victime en tant que femme de violence ou de stigmatisation du fait votre statut de réfugié ?
J’ai été personnellement victime d’agressions sexuelles. Des hommes voulaient entretenir des relations avec moi. Chose que je n’acceptais pas. Je me rappelle, il y avait un homme qui était aux aguets devant ma chambre à chaque fois que je faisais une sieste. Un jour, il s’est introduit dans la pièce et a sauté brusquement sur moi. Avec mes cris, les voisins ont investi les lieux pour venir à mon secours. C’est par là qu’il a pris la fuite. La deuxième fois je peux dire que c’était une agression. Deux hommes se sont introduits nuitamment dans ma chambre m’ont lancé: “sortez ici vous n’êtes qu’une maure”. C’était au clair de lune. J’ai fini par porter plainte, mais jusque-là rien a été fait.
Le gouvernement du Sénégal vous vient-il en aide pour ce qui est de votre protection et insertion sociale ?
Pour dire vrai, on n’a pas reçu d’aide du gouvernement sénégalais. C’est au temps du Covid-19 qu’ils nous ont approchés pour un recensement via notre coordonnateur, le doyen Adiouma Sissokho. C’est ce dernier qui avait effectué une demande auprès de la mairie de Pikine pour que nous puissions bénéficier des kits alimentaires octroyés aux impactés de la Covid.
Vous arrive-t-il d’envisager un retour au bercail ?
Au début de notre arrivée à Dakar, je ne voulais que rentrer dans mon pays d’origine. Parce que je connaissais pas cette vie. Tout était nouveau pour moi. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. J’entends toujours qu’il existe des problèmes raciaux entre maures blancs et maures noires. Si je dois rentrer, il me faut un accompagnement sûr. Et maintenant dans le monde, y a que les terres qui marchent. Et les terres de mes grands-parents ont été tous spoliés par les maures-blancs. Ils ont établi leur loi. Il y a avait un retour volontaire mais tous ceux qui étaient partis sont revenus par faute d’accompagnement. Sans compter nos biens qui ont été confisqués. Au Sénégal, on est dans de bonnes conditions. Alhamdoulilah ! On est dans la paix maintenant. Et la stabilité est tout pour nous.
Nous suivons de très près cette loi. Pour preuve, la semaine dernière, une délégation des refugiés de la Mauritanie est allée rencontrer le ministre de l’Intérieur. Nous avons un groupe WhatsApp et notre responsable nous tient au courant de toutes les démarches. Mais ce qui est sûr est qu’il y a de l’espoir selon notre délégué.
“Que l’Etat sénégalais nous aide à avoir des papiers”
