Gare des Baux Maraichers de Pikine. Pour le voyageur qui débarque, hier jeudi 12 janvier 2023 ne devait pas être comme les autres jours. C’est la date retenue pour démanteler les porte-bagages, l’une des mesures phares prises par l’Etat lors du Conseil interministériel,
à la suite de l’accident tragique qui a fait 41 morts et une centaines de blessés, dans la nuit du samedi 7 au dimanche 8 janvier 2023, à Sikilo, dans le département de Kaffrine.
A la gare des Baux Maraichers, rien n’a changé. Les porte-bagages continuent de trôner sur le toit des véhicules de transport public de personnes. Pour un nouveau visage des véhicules sans arrimage, tel que souhaité par l’Etat, il faudra attendre encore. «Nous ne sommes pas encore prêts à nous passer des porte-bagages», freine net Cheikh Mbacké Ndiaye, un chauffeur qui totalise plus d’une vingtaine d’années de présence sur les routes du Sénégal. La mesure d’interdiction des porte-bagages, Cheikh Mbacké en rigole presque et l’assimile à «mettre la charrue avant les bœufs». Pour lui, les arguments ne manquent pas pour rejeter cette mesure adoptée «trop vite» par le gouvernement.
Le doigt pointé sur un groupe de voyageurs, chacun ayant en main une valise, en sus d’un sac à dos, Cheikh embraie comme il le ferait avec son véhicule et s’interroge : «Où est-ce que ces gens là vont mettre leurs bagages pendant le voyage ? Dans le bus, sur leurs genoux, sur la tête… ?» Puis, le ton monte. Dans l’attroupement qui s’est vite créé, chacun cherche à «charger» la mesure d’interdiction des porte-bagages, tout le monde s’exprime. Tous sont unanimes pour juger la mesure «irréfléchie». «Cette mesure va tuer toute l’économie qui gravite autour du transport public de personnes» Dans le vacarme qui s’est installé, lorsqu’un portefaix passe avec son charriot rempli de bagages, suivi par un voyageur, Cheikh Mbacké le désigne du doigt et le présente comme la première victime de la mesure d’interdiction des porte-bagages.
«Il sera au chômage s’il n’y a plus de bagages à transporter et ils sont nombreux dans les gares routières à ne s’occuper que du convoyage des bagages jusqu’aux véhicules. Qu’est-ce qu’ils vont devenir ?» Et ce ne sera pas la seule conséquence, selon Lamine Sarr, un conducteur de bus rattrapé par l’âge et qui s’est reconverti en rabatteur. Lui s’intéresse plus aux denrées alimentaires qui ne seraient plus acheminées dans les localités éloignées, si la mesure d’interdiction des porte-bagages est maintenue par l’Etat. Le regard posé sur des sacs d’oignons entassés sur le porte-bagages d’un bus en partance pour l’intérieur du pays, Lamine Sarr est d’avis que dans ces localités, les prix risquent de flamber si l’oignon n’y est plus acheminé par les véhicules de transport public de personnes.
Et il n’y pas que les denrées alimentaires, «de légers matériels de construction en passant par les meubles, les ventilo, les fournitures scolaires, les légumes tout sera à l’arrêt», prévient Lamine. Si l’Etat persiste dans sa volonté de supprimer totalement les porte-bagages, les voyageurs risquent d’en faire les frais. «Certes, nous gagnons très peu avec les bagages, mais cela nous permet de prendre en charge certaines dépenses comme la paie et restauration des apprentis, sans compter une partie de l’entretien du véhicule. Ce sera un réel manque à gagner que nous n’excluons pas de reporter sur les prix du transport, notamment pendant les événements religieux, des moments de grande affluence pendant lesquels toute sorte de matériels est acheminé vers Touba, Tivaouane…», lancent en chœur les chauffeurs rencontrés hier à la gare des Baux Maraîchers.
A la place de la suppression des porte-bagages, ils proposent sa réglementation par une limitation du poids de la charge et de sa hauteur. D’ailleurs, une rencontre de tous les acteurs des régions est prévue samedi 14 janvier pour apporter la réplique et dégager une position commune.
L’observateur
